what do you mean ? ◇ Kennedy (25/09 ; 21H00)

Être dans cette aventure c’est recommencer à zéro. J’ai l’impression d’avoir tout juste été expulsé de l’Utérus de ma mère, la prison, et de devoir de nouveau apprendre à marcher, à parler, à me nourrir. Personne pour me guider dans cette folle aventure, personne pour me soutenir. Nous sommes désespérément seuls dans cet étrange couloir de la rédemption. Car c’est bien de cela qu’il s’agit, d’un parcours particulier visant à nous offrir une occasion en or de nous racheter pour nos erreurs passées. Comment qu’ils appellent ça chez les religieux ? Oh oui, un pèlerinage. Faut voir la gueule du pèlerinage que l’on est en train d’entamer. Parfaite illusion de liberté, courir dans un champ de maïs s’apparenterait à de la liberté après huit ans de prison, et pourtant tellement restreinte. N’est-ce pas frustrant de se savoir en sursis, prêt à obtenir une deuxième chance de faire les choses d’une autre manière, de reprendre sa vie différemment mais d’avoir une seule et unique chance sur une vingtaine d’y parvenir. Croyez-moi, ça l’est ! Le début de la semaine n’a pas été évident, j’ai perdu l’habitude d’interagir avec les autres de manière intégralement pacifiste, je n’ai pas besoin d’échanger une cigarette pour obtenir une boisson gazeuse, j’ai retrouvé une certaine forme d’intimité pour me rendre aux toilettes et prendre ma douche. Hier je me suis même autorisé à rester sous la douche plus longuement, dix minutes de bonheur ! Ce soir je m’apprête à nouveau à dépasser un cap, me faire à manger, un vrai repas, avec une entrée, un plat principal, un dessert et rien de congelé. Hors de ma vue la bouffe top budget, je suis d’humeur à cuisiner de A à Z et de me gâter… Une chance que je ne sois pas trop merdique en matière de cuisine, personne ne me fera la faveur de concocter un repas pour moi. Il n’y a plus personne à cette heure-là, j’ai bien attendu que les lieux se vident pour accéder tranquillement à la cuisine, je n’ai pas besoin que l’on m’emmerde pendant que je m’adonne à un exercice que l’on peut considérer comme inédit. Je n’ai pas touché un couteau, autre qu’en plastique, depuis huit ans !

Aux côtés de tous mes ingrédients, je me sens un petit peu rouillé. La cuisine, ce doit être comme le vélo, on ne peut pas oublier trop facilement les bases, un entrainement et tout nous revient n’est-ce pas ? Il y a plutôt intérêt ou le plat de lasagnes que je compte me concocter sera un véritable désastre. Tout ce qui me sera nécessaire pour cuisiner dans les meilleures conditions est proprement réuni devant moi, sur le plan de travail. Viande hachée, à défaut d’avoir les steaks hachés sur lesquels se sont rués mes camarades, oignons, crème, sauce tomate, pâtes, fromage, épices diverses et variées pour assaisonner ce beau petit monde. J’en ai déjà l’eau à la bouche rien que d’y penser. Il est peut-être temps d’arrêter de réfléchir pour se mettre au travail ? J’ai les crocs et me tenir de la sorte devant les produits ne me remplira pas la panse. J’attrape un couteau de cuisine, prêt à ouvrir le sachet de viande hachée dont l’ouverture facile est aussi inutile que moi à un cours de danse classique. J’arrache la partie supérieure du sachet d’un coup rapide et efficace et relève la tête. Quelqu’un approche, je peux sentir sa présence, en l’espace de quelques secondes son souffle atteint ma nuque, qui est l’inconnu qui se trouve derrière-moi ? Sait-il que j’ai un couteau de cuisine entre les mains et que je sais diablement bien m’en servir ? « On mange quoi ? » Me questionne la voix masculine. Qu’il s’estime heureux, j’ai pris pour habitude de repousser avec un entrain certain les affamés qui pensaient à se ruer sur mes petites fesses bombées. J’ai encore du mal à me dire que nous ne sommes plus en prison, que nous sommes libres, entre gros guillemets. Là-bas, derrière les barreaux, lorsque quelqu’un se rapproche dangereusement de toi, ce n’est pas pour discuter ! « T’es sûr pour le cumin ? » Je me retourne pour lui faire face et en profite pour jeter un rapide coup d’œil à la marchandise. Plutôt mignon, pas très menaçant ! Un sourire étire mes lèvres. « Je suis sûr pour le cumin et… Je mange des lasagnes ! » Il a compris le message ? JE ! « Et toi, si t’as la dalle je te conseille d’abord de passer à la caisse… Un paquet de clopes contre une portion de mes lasagnes. » Je le regarde longuement et… Ah oui, nous ne sommes plus en prison et nous avons tout cela sous la main. J’oublie toujours ! « Okay, mets juste la table et ne me perturbe pas pendant que je cuisine… Oh et… Je te laisse couper l’oignon ! » Mes yeux l'en remercient d'avance.