Quand on le regardait bien, ce manoir prenait des allures de Cluedo. Vingt-quatre détenus mais un seul gagnant à la fin et tant de perspectives d’éliminer ses adversaires. La cuisine et ses couteaux, la piscine et le déplorable accident résultant à une noyade, le marbre sur lequel fracasser aisément le plus solide des crânes et ce billard. Haynes n’en savait rien mais il lui semblait qu’on pouvait aisément crever une rate ou des intestins à l’aide d’une queue bien armée et l’idée lui arracha un léger frisson. Pourquoi ces pensées ? Et pourquoi pas. Son univers était carcéral et là-bas, peu de demoiselles jouaient aux enfants de chœur et la plupart des bandes se recrutaient par crime. Et pour certaines d’entre elles, le moindre objet du quotidien était une arme en attente du bon degré d’ingéniosité. D’audace. A la prison, un avocat vint un jour leur offrir une conférence, de la prévention ou quelque chose comme ça. Il évoqua le détournement des objets les plus banals et Haynes apprit qu’un ourson piégé ou une nuque brisée à l’aide d’une pelle portaient un nom : une arme perfide. Toute fraîche de son premier bain depuis plus de sept longues années, elle virevoltait autour de ce détournement du quotidien dans un mélange de fascination et de répulsion, ses doigts effleurant doucement le bois. Haynes n’avait plus vraiment peur de mourir. Cette crainte irrationnelle mais terriblement humaine s’envola la nuit où elle commit l’irréparable. Ce soir-là, elle attendit la mort et son cerveau fut le premier à capituler en la préservant des heures suivantes. Mais elle ne mourut pas. Finalement, la prison fit sans doute office de mort. Au lieu d’un décès net et tranché, on lui offrit un trépas long et douloureux parce qu’il fallait bien payer n’est-ce pas ? C’est sur ces considérations que s’acheva sa réflexion ainsi que sa solitude. Une fille lui faisait dorénavant face et comme souvent, Haynes ne la vit pas arriver. Elle semblait jeune, au moins autant qu’elle. Jeune n’était sans doute pas le bon mot, mais elle pouvait difficilement faire mieux alors elle décida qu’il irait malgré le 9 qu’il fit naître en elle. Placide et attentive, elle écouta le marché de la blonde sans un mot ou une expression. Haynes possédait un visage neutre, toujours ce minois d’enfant qui en savait pourtant plus long. « Tu as une notion très particulière de la réciprocité. » nota-t-elle pour la forme avant de resserrer sa prise sur le morceau de bois qu’elle caressait distraitement, du bout de ses doigts, depuis tout à l’heure. Elle le tendit à l’inconnue dans un signe de bonne volonté. Certains diraient de faiblesse, mais ils auraient tort. « Peu m’importe. » souligna-t-elle distraitement en attrapant une seconde queue. Les règles ne lui importaient pas. Ce qui lui importait en revanche, c’était de parvenir à se lier. Un peu. Ne serait-ce qu’un tout petit pour que Flynn soit fier d’elle. Et la vieille Mo aussi, même si la télévision n’était disponible que quelques heures par semaine et que le programme voulu s’imposait par les poings. Sans attendre une réponse, Haynes entreprit de placer les boules avec une maniaquerie certaine. Elle composa un triangle parfait et persista jusqu’à ce que rien ne dépasse, nulle part. Le premier tir était essentiel, répétait Papa. Et il en savait quelque chose, il établissait ses quartiers dans le pub du coin de leur rue tant et si bien que sa table restait vide et réservée même quand il n’y venait pas. « Tu sais jouer ? » s’enquit-elle poliment de sa voix rauque de môme qui aurait trop crié. Pourtant c’est faux, Haynes ne fut pas des princesses capricieuses. Ou des princesses tout court.