i'm colder than this home // mer. 23 sept. 18h34

& moran

Elle faisait voyager la pulpe de ses doigts contre le verre des bouteilles qu'on avait soigneusement rangé dans les étagères. Certaines étaient pleines de poussières et elle ne pouvait s'empêcher de se demander de qui elle touchait les restes, s'il ne s'agissait que de pierre qui s'était décomposée ou si elle avait de la poussière de Dawkins sur les mains. Pour ne pas salir son haut, elle n'avait fait que taper dans ses mains et l'écho n'avait pas manqué de retentir par trois fois. Elle s'était mis à fredonner un air qu'on entend dans les cirques ou les fêtes foraines, ça lui était venu immédiatement en tête, quand d'autres auraient été du genre à sortir des paroles en yaourt de tube pop ou électro qu'on entend en boucle à la radio. Elle n'écoutait pas la radio. Elle n'avait d'oreille que pour la musique classique, l'opéra et les comédies musicales à la rigueur, mais elle préférait généralement les sons simples de la nature. L'industrie de la musique, comme celle du cinéma, manquait de classe et de pureté comparé aux domaines de la peinture, de la sculpture, de la photographie ou de la mode qu'elle affectionnait d'avantage. En revanche elle ne connaissait pas grand chose en vin, loin d'être sa tasse de thé, mais elle aimait en boire quand l'occasion se présentait, c'était déjà cela. Elle s'apprêtait à remonter mais on s'était déjà engagé dans le petit escalier et elle ne préférait pas boucher le passage en s'y engouffrant à son tour, cela faisait partie du genre d'incivilités qui l'irritaient au quotidien mais qu'elle se gardait généralement de faire remarquer. « Bon... Soir ? Je ne sais pas l'heure qu'il est. » Avait-elle avoué dans un sourire confus. Elle ne portait jamais de montre à son poignet, c'était trop facile à voler.

Savourer un bon petit verre de vin pendant le diner et décompresser. Je ne sais même plus ce que cela fait, la dernière fois que j’ai pu boire du vin je n’avais pas encore trois poils sous les aisselles. Bon, peut-être que si, je n’ai pas commencé à dix ans non plus. Dommage que le système carcéral anglais ne soit pas suffisamment subventionné pour nous permettre de jouir de petites folies comme le vin. Pas sûr que l’alcool ferait du bien à tout le monde, un verre n’a cependant jamais blessé personne. Il parait même que c’est plutôt bon pour la santé, le vin contient des enzymes ou un truc dans le genre, je n’ai jamais été passionné par la science, qui contribuent à empêcher la formation de certaines cellules cancéreuses. Autant vous dire que si je veux éviter le cancer je n’ai plus qu’à prier très fort. La semaine est déjà bien entamée, les jours s’écoulent à une allure surprenante et je n’ai toujours pas osé m’aventurer dans la cave à vin. Hors de question que je me tienne éloigné d’une bonne bouteille de vin rouge une soirée de plus, je m’aventure fermement résolu à la cave et croise une jeune femme arrivé en bas des escaliers. « Bon... Soir ? Je ne sais pas l'heure qu'il est. » Je tends le bras pour faire remonter les manches de ma veste. « Tu peux encore dire bonjour, mais bonsoir serait plus adapté. Il est bientôt sept heures ! » Je l’observe un instant et remarque la bouteille de vin qu’elle a entre les mains. « Mhm… Je ne suis pas un fin connaisseur, mais je pense qu’il y a mieux que cette bouteille ! Tu veux un coup de main pour choisir ? » Je propose, d’humeur à avoir un petit peu de compagnie.

Elle avait cru voir du coin de l'oeil que le début de soirée s'annonçait tout doucement lorsqu'elle était descendue au sous-sol mais elle n'aurait su dire quelle heure il était; le temps s'amusait souvent à lui jouer des tours : il s'éternisait quand elle s'ennuyait, pour cela elle faisait en sorte de ne jamais en avoir l'air -mais le temps sait tout- et s'accélérait quand elle commençait à saisir le bon côté de son existence. L'homme de l'escalier la rassurait un peu en lui annonçant qu'il n'était pas encore sept heures, bientôt mais pas encore, et donc elle pouvait dire "bonsoir" plutôt que "bonjour", mais si cela venait vraiment à la perturber elle ferait un mélange des deux et cela conviendrait à toutes les heures de la journée au moins. « Merci. » Lui avait-elle répondu dans un sourire reconnaissant. Puis il s'était permis de lui faire remarquer que la bouteille qu'elle comptait emporter avec elle n'était pas la meilleure qu'on puisse choisir, surtout vu tout le choix qu'il y avait là. Il lui proposait son aide, ce qu'elle ne pouvait pas refuser. « Oh, je veux bien ! Parce que j'avoue que pour moi, le vin, ce n'est que du jus de raisin qui fait tourner la tête. » Déclarait-elle, laissant un petit rire échapper d'entre ses lèvres, portant la bouteille de l'une à l'autre de ses mains qui commençaient a se refroidir.

Les normes concernant le vin se sont peut-être transformées depuis le temps, on ne peut pas dire que j’étais un expert à l’époque mais mon père a souvent tenté de m’inculquer les réflexes, les gestes, l’odorat… Tout ce qui permet de repérer les meilleurs vins. Il m’a même appris qu’il suffisait parfois d’observer certaines bouteilles pour parvenir à faire la différence entre un vin de très bonne qualité et une pâle imitation bon marché. Un exemple ? Je reconnais sans difficultés la mauvaise bouteille que vient de sélectionner la jeune femme et, en bon samaritain, je lui propose de l’aider à s’en trouver une qui saura en envoyer autant qu’elle, car oui, mes yeux se baladent discrètement, par curiosité pendant que je lui parle. « Oh, je veux bien ! Parce que j'avoue que pour moi, le vin, ce n'est que du jus de raisin qui fait tourner la tête. » Je souris, amusé par la réflexion de la petite brune. Le vin peut effectivement se résumer à cela pour ceux qui se moquent de réellement l’apprécier à sa juste valeur. « Viens, allons voir si Lord machinchose a de bons goûts en matière de vin ! » Je m’élance, observe quelques bouteilles, me frotte le menton et… « Château de Lussac, parfait ! » J’en sors une bouteille que j’analyse, la repose et réitère le processus avec celle d’à côté. « Tiens, celle-ci devrait te plaire ! » Un vin qui a du caractère, comme elle. J’imagine en tout cas ! Une femme comme elle ne peut pas uniquement être sympathique, il y a bien plus là-dessous, j’en suis persuadé. « Tu as déjà diné ? »