bullet proof ~ lodde

J'arrive même pas à me souvenir de la dernière fois que je me suis baigné. Alors je reste là comme une conne à regarder la piscine. Une piscine quoi, y a une piscine. Je savais qu'on serait bien logé tout ça, mais quand même on a le droit à une piscine. Et comme pour tout, je me sens un peu bête. Parce que même si je sais qu'on est autorisé a y entrer j'ai l'impression que je vais me faire engueuler si j' rentre là tout de suite. En plus j'ai même pas de maillot de bain moi, qu'est-ce que je ferais avec un maillot de bain sérieusement ? Comme si j'avais le temps de me reposer à la plage ou un truc comme ça. En plus c'est pas comme si y avait la mer à Londres. Mon dernier maillot de bain il doit dater de mes quatorze ans t'sais. Je vire mes baskets, mon jogging et mon tee-shirt pour rester en sous-vêtement. C'est à peut près la même chose de toute façon. Sauf que je commence à réfléchir et à me dire que j'ai rien à faire dans une piscine, genre … j'ai pas un penthouse qui m'attend. Pas de piscine intérieur ou de jacuzzi pas loin. Je te jure que ça me sidère à font de me dire que j'habite ici, peut être que ça va pas durer très longtemps. Peut être qu'au prochain prime je serais dans leur truc de la miséricorde et que je retournais rapidement dans ma cellule. C'est connard du pénitencier il m'ont foutu un putain de lavage de cerveau. Et je commence à avoir peur de faire des choses en dehors des règles. Je trempe juste le pied, j'ai l'air d'une conne franchement. Genre la pauvre qui découvre pour la première fois les joies de la piscine. D'ailleurs quand j'y pense, je crois que je suis jamais entré dans une piscine. Tu sais c'est le sensation quand tu connais pas quelque chose et que tu te dis que tu vas forcément faire les choses de travers. Alors on se retrouve avec la gueule de travers là, la frange qui part en cacahuète, et le regard perdu de la gamine qui sait pas comment faire. C'est là qu'un type se pointe, je l'observe du coin de l’œil. Ouais bon vas-y te fous pas de ma gueule. Les bras croisés, la visage boudeur je le calcule même pas. Je trouve ça tellement bizarre d'être en contacte avec des hommes. Y a bien que mes frères que je vois de temps en temps, mais c'est pas de la même façon. Et puis y a les matons mais ça c'est encore différent, c'est pas des vraies personnes, enfin façon de parler. Alors je trouve ça bizarre d'être en contacte de mecs comme ça là, genre cadeau retour à le vie « normal ». Je l'ignore toujours, prend de l'élan, cours et saute dans la piscine comme une grosse gamine. J'ai déjà vu ça dans un film, je crois. Ayant pris une grande inspiration avant de finir sous la surface de l'eau, je me laisse couler, les yeux grands ouverts, des petites bulles qui s'échappent de mes lèvres. Je me laisse aller à un grand sourire qui sent l’épanouissement, en espérant qu'il n’y ait pas de caméras sous-marines quand même. Et puis je remonte en faisant la gueule. La base.

Une année et demi sans voir la mer, un vrai calvaire. Après tout, quand on naît bercé par le bruit des vagues le silence de la terre en devient pesant. Là-bas, entre le montagne toscane, pas un pet d'eau à l'horizon. Pendant un moment Lodde a espéré que ce sacré manoir soit quelque part sur la côte. Même si l'eau est grise et moche ça n'enlève rien au bonheur de s'y jeter après une longue course au souffle coupé. Mais non. Alors il se contente de la piscine, se dit qu'une bonne nage lui irait tout aussi bien.
Lodde a un vieux short, multifonction, multisport. Il s'adapte aux besoins instantanés. Waouh encore du marbre, pense-t-il en mettant un pied dans ce sous-sol humide. Belle hauteur, belle longueur de bassin. Belle silhouette qui sait pas trop si, entrera? entrera pas? Elle se renfrogne en le voyant, il soupire et pose ses affaires dans un coin. Enfin, son tshirt sa serviette et ses pompes quoi. C'est là qu'il repense à la cave, pas loin, juste à côté. Lodde quitte les lieux le temps de se faufiler dans la caverne d'ali baba du bon oenologue. Dans un grand frigo il repère la première bouteille de vin blanc italien et s'attelle à l'attraper, l'ouvrir, prendre une (puis une deuxième) coupe et retourner à la piscine. Sauf qu'elle sort en faisant la gueule, la fille. Les matons avaient raison, une prison de mec c'est sans doute beaucoup plus relax qu'un repère de gonzesses. "Un verre?" il tente quand même, parce que mamma lui a bien appris les valeurs de politesse. Et parce qu'il se voit mal dégommer une bouteille de Cirò tout seul. Il s'assoit sur le rebord, jambes dans l'eau et verse le met des dieux dans les deux coupes en l'attente d'une quelconque preuve de sociabilité en retour.

C'est débile quand même. Parce que c'est qu'un mec, mais je sais pas il m’apparaît comme un intrus. Je me dis qu'il a rien à faire ici, parce qu'à Holloway, y a que de la nana. Je sais pas je me méfie d'autant plus parce que j'ai plus trop l'habitude de traîner avec les mecs. Pourtant avant c'était juste hyper naturel pour moi, je traîne qu'avec des mecs dehors. Déjà que j'ai trois petits frères, et puis les potes... bref que des mecs. Et là j'ai l'impression d'être une débile en face d'une espèce qu'elle a jamais vu de sa vie. J'ai juste perdue cette habitude, tu sais celle qui dit que tu dois sociabilisé avec les gens que tu rencontres. Déjà qu'avant j'étais pas très bavarde... genre là depuis les barreaux je suis plus du tout causante. Ou juste pour dire de la merde. Les gens trouvent que j'ai des réflexions étranges et souvent je dis des trucs qui blessent sans le vouloir. Parce que bon quand je veux blesser je le fais de manière plus incisive, mais malgré moi j'ai cette réputation de petite garce nerveuse. Je suis pas avenante, pas du tout souriante, mais peut importe. Je suis clairement pas là pour me faire des amis. Ah non clairement pas, alors tant pis hein. Je suis même pas surprise de voir qu'il se barre avant que je ne plonge dans le grand bain, bah tant mieux... on va dire que c'est parfait comme ça. Toute seule dans la piscine. Même si je me sens comme un poisson d'eau douce dans de l'eau de mer... Quand je remonte à la surface, malgré ma vision toute troublée je le retrouve encore pas loin. A croire que j'avais tord, je ne l'ai pas fais fuir, tant mieux j'imagine. Je me disais que peut être il avait peur des filles depuis le temps qu'il ne fréquente que des hommes. Enfin « fréquenter » façon de parler hein. Il me propose un verre et je remarque alors les bouteilles de vins blanc, étonnant pour un italien. Je m'approche de ma manière à moi, farouche et faussement désintéressé. « Ouais. » Je lâche comme si c'était pas grand chose. Je dis pas merci, je dis jamais merci. « T'es le cliché de l'italien avec comme option gps la localisation de la cave à vin la plus proche ? » Je taquine sans sourire, le regard et le ton brutal. Je sais pas trop faire des blagues en faite, d'habitude je m’abstiens. Bahhh on va dire que le vin trouvera certainement une solution à mon manque de coordination faciale avec mes intentions de reine de l'humour.

Elle a pas l'air facile à vivre la Sinclair. En même temps, est-ce que certains sont faciles à vivre dans ce coin? A se demander si la condition de taulards les rend différents. Ca change, certainement, mais est-ce que ça les rend aussi frustrés/antipathiques/casse couille? Bon. Lodde a pas mal réfléchi stratégie. Il s'est dit que pour avancer dans l'aventure il valait mieux avoir des alliés. Des épaules sur qui compter. Des personnes capables d'amener du relief et des doutes à ses certitudes. Il n'y croit pas, ça non, il n'y croit pas du tout qu'un seul gars puisse à lui seul résoudre toute une histoire. Alors malgré ses talents d'observateur aguerri qui le poussent le plus souvent à rester en retrait, l'italien choisit ce coup-ci de prendre des initiatives. L'avantage étant que mamma et papa lui ont parfaitement appris l'anglais, Lodde peut se vanter de pouvoir communiquer assez aisément. C'est déjà pas mal. Il la regarde s'approcher, son air de chien de garde scotché au visage. La piscine la rend un tantinet sociable, ou peut-être est-ce le vin. Tentative d'humour peut-être? Il amorce un semblant de sourire "C'est ça! Et ce soir c'est soirée pizza", il renchérit avec les mains chantantes, animées. "Allez tiens" qu'il dit en lui tendant son verre "chez nous on dit 'Salute!'", quitte à jouer le cliché "On t'a livrée le sourire en option?" et il goûte ce fameux vin, voir si les Dawkins étaient vraiment de fins connaisseurs.

Tout me semble bizarre ici. Je sais qu'on a tous une vie en dehors de la prison et que ça devrait pas être si bizarre de barboter dans une piscine, ou de sortir dans le jardin. Mais ça fait des année maintenant que j'ai pas eut autant de choix devant moi et je sais pas encore si je trouves ça bien. Pour être honnête dans les grandes lignes je trouve que c'est pas du tout une bonne chose que d'être ici. Y en a qu'un d'entre nous qui va en sortir gagnant, les autres... ils vont repartir dans leur prison respective avec cette curieuse envie d'évasion. Franchement je suis sûre que ça va donner des idées à certains pour se tirer de leur cellule, parce que bon une fois qu'on a goûté aux joies d'un manoir, je pense que c'est quand même difficile de retourner là bas. Moi je m'adapte pas, j'ai même pas envie, parce que ça voudrait dire pleins de choses que je suis pas prête à assumer. Alors ouais je fais la gueule, mais c'est pas contre l'italien hein, c'est juste que je suis faite de cette façon. Enfin non pas vraiment, je suis surtout une peu dis-fonctionnelle... Il ramène du vin et je trouve marrant, même si je rigole pas... Parce que bon, le gars il est italien. C'est comme si on demandait à un français de se trimbaler H24 avec une baguette de pain. J'accepte qu'il m'offre un verre mais non sans faire mon petit commentaire. C'était de l'humour, mais je suis pas douée. Parce que je manque de sourire, de rire et tout ce qui va avec les blagues habituellement. C'est pour ça qu'en générale je vais pas sur ce chemin là, je laisse les autres le faire. Parce contre je suis quand même douée en sarcasme quand j'ai la force de moduler ma voix pour lui donner un air narquois. Mais comme la plupart du temps je m'en fiche un peu, ça tombe toujours à l'eau mes tentatives de ce genre. Lui il sourit, je devrais m'applaudir parce que ça arrive pas souvent. « J'adore les pizzas. » Je répond d'un ton monochrome, le prenant totalement au sérieux, même si j'ai saisis la nuance. Je récupère mon verre dans un spasme faciale qui s'apparente à un remerciement silencieux. Bon je sais pas si c'était une bonne idée, j'y connais rien. Je pourrais boire un vin de merde et dire que c'est le meilleur du monde. J'y connais vraiment rien, d'ailleurs je crois bien que j'avais jamais réellement goûté du vin jusqu'ici. Alors je suis sûre de m'y prendre mal. Je suis sûre qu'il faut pas tout boire d'un coup, comme je viens de le faire. Comme si c'était de l'eau. J'arque un sourcil, je sais pas si c'est bon, mais c'est pas dégueux. « Et comment on dit « mon verre est vide » chez vous ? » Je lui demande en retournant le verre, montrant qu'il y a plus une goûte. Il fait un commentaire sur mon fabuleux sourire. Celle là on me l'a faite cent fois au moins. « Bah … Tu sais, mon sourire est tellement beau je voudrais pas que tu tombes amoureux de moi. » Je lui dis, sans le quitter des yeux. L'air tout à fait sérieuse. « C'est juste un petit dysfonctionnement, j'aspire à être réparé un de ces jours. T'as peut être les outils pour ? » Ou pas. Au pire c'est pas très grave. Y en a bien qui vivent avec un sens en moins, je peux bien m’accommoder de pas sourire, je le fais déjà d'ailleurs.

"C'est magnifique les pizza", y'a pas à dire, les italiens sont un peuple heureux. Ils vivent de choses simples, le fruit de la terre et de la mer. Dommage qu'ils soient aussi sanguins et vaniteux. C'est compliqué d'aspirer à la simplicité quand on est constamment confrontés à mieux. La richesse à la télé, ces feuilletons américains qui aveuglent les esprits. Hollywood, les piscines à débordement, les pool house, champagne et autres petits fours. La jeunesse grandit en rêvant d'un luxe qu'elle ne touchera jamais. Lui aussi. Est-ce l'amour du ballon ou de la vie de footballeur qui lui arrache des frissons. Souvent les matons lui disaient, tu sais Lodde, t'auras beau taper dans l'ballon tu seras toujours qu'un criminel. C'est vrai ça. Est-ce que quelqu'un comme eux, comme lui, pourra un jour être réellement pardonné de ses fautes. Sur le papier peut-être, mais moralement ça ne s'oublie pas. Les gens n'oublient pas. Encore moins quand ce qui vous a mené à la liberté c'est qu'une putain d'émission de télé-réalité. Au final ils nourrissent eux-même ce qui les a poussés à pêcher. Parce que c'est bien ça, non? C'est les autres, c'est les autres qui les ont poussés à faire ces conneries. Les mauvaises influences, les galères, la pression au travail, la société, la drogue... Beaucoup trop d'excuses. Bien joué les gars. C'est facile de faire un bilan de son hypocrisie alors qu'on barbotte les pieds dans l'eau à boire un verre de blanc. Sinclair boit d'un coup et ça pousse Lodde à en faire de même. Toujours cette attitude compulsive qui ne le mène à rien. C'est qu'il s'est toujours considéré comme un dur à cuire. Si on le met face à un bon buveur Lodde ne lâche pas. Y'a plus de plaisir à la dégustation, c'est simplement le plaisir du jeu. Plaisir qui fait sourire et battre l'égo. "Il mio bicchiere è vuoto" il souffle "Mais si tu veux t'affirmer tu dis simplement è vuoto" alors il remplit à nouveau leurs deux verres "Et c'est le moment où j'me dis putain, sacré descente cette fille" alors il l'imite et avale à son tour le vin d'une traine. Si son père le voyait... Lodde en rit, salut papa, une bouteille à 30 balles dégommée en deux secondes. Elle est belle la descendance italienne dis donc. Ce sarcasme qui se cache derrière un regard dur, on en parle du cliché de l'anglaise du ghetto? "Tu sais, une femme qui aime les pizza et qui est une bonne vivante moi ça me fait déjà tomber amoureux. Parle-moi de foot et je t'enfile l'anneau au doigt" c'est qu'il sait jouer le sérieux lui aussi derrière ses ironies "J'apprendrai à vivre avec ton dysfonctionnement, j'ai un grand coeur j'accepte la différence" et c'est limite si Lodde se pose pas une main sur le torse pour montrer qu'il est un gars sincère.

La pizza c'est un peu le repas de luxe chez nous. Quand y a un truc à fêté on s'offre une pizza. On y a droit à tous les anniversaires et on a même passé un noël à la pizza. Toute manière chez nous c'est pas si important que ça cette fête, c'est très occidentale quoi. Alors la pizza ça le fait. J'irais peut être pas jusqu'à dire que c'est magnifique, mais bizarrement ça me donne presque envie de sourire sa connerie. J'en fais rien, parce que j'ai une réputation à tenir vous savez. Celle de la fille qui fait toujours la gueule. Mais en réalité c'est que j'ai pas tellement de raison de rire ou de sourire. Ok, on vit dans un manoir, mais je peux pas m'empêcher de trouver ça bizarre et tellement louche alors forcément je suis pas en mode chill out. C'est marrant comme les italiens sont bizarre, tout ce goût pour le faste, les bonnes choses... les grosses voitures et les chaussures qui sentent le cuire. Moi je trouve ça louche quand même, non ? C'est bizarre d'autant vouloir se la péter au volant d'une bagnole. Mais ça je pense que c'est le rêve américain qui reste dans le coin de leur tête, comme une anomalie transmise de génération en génération. Un gêne défectueux de base, qui fait d'eux des emmerdeurs et des vaniteux à l’ego en titane. En même temps j'y connais pas grand chose, j'ai pas rencontré trois millions d'italiens non plus, j'ai pas fait une enquête ou un truc comme ça. Comme j'y connais rien en vin, donc je bois ça comme de l'eau. Il fait pareil, j'arque un sourcil. Parce que je suis sûre que c'est pas comme ça que ça se boit. Il joue au gros dur. Bah c'est que du vin, refait pareil avec de la vodka on en reparlera après. Bref, il est bizarre. Et mon verre est vide. Ok... Je vais pas répéter je vais le dire de la mauvaise façon. J'ai beau être pas trop conne, moi je me limite à l'anglais et à quelques notions de diverses dialectes asiatiques. L'italien ce serait un peu la langue de trop, celle qui me ferait péter un câble quoi. Alors je hoche la tête et l'observe boire son verre. Ça se trouve je suis toute fancy, et que je sais boire du vin finalement. « Ouais mais la science est contre moi, je suis petite et légère alors tu vas voir que dans quelques verres.... » Je vais comater la gueule dans la piscine. « Me laisse pas me noyer. » Je lui dis sérieusement, froidement, mortellement sérieuse. Il en vient à évoquer mon petit soucis faciale là, mon sourire qui n'est jamais présent. C'est une juste une technique de ninja Yakuza, faut pas qu'on tombe amoureux tu vois, pour la couverture tout ça. Et puis tout le monde sait que l'amour ça rend faible. Sauf que le gars est déjà in love. « Tu dois avoir un stock de bague en diamant non ? Parce que bon y a pleins de filles comme ça... » Je commente en vidant mon verre. « Et si je t'explique le hors-jeu, tu me fais un bébé ? » Oh et grand prince comme il est, il se propose même de vivre en paix avec mon handicap. « Ta gueuuuuule. » Je balance, entre la grimace, la blague et le sérieux. Je sais pas, je dois avoir une gueule bizarre là.